Pop Art
Neil Hannon, le songwriter prodige de Divine Comedy, le crie haut et fort: “Promenade est de la pure pop!” Tournant le dos au rock avec ce concept-album baroque, l’Irlandais fantasque se rêve en maître de musique, faisant doucement dériver un son excentrique vers de classiques rivages.
Neil Hannon a haussé le ton d’un cran. Il y avait eu Liberation et ses vignettes british, colorées et électriques, qui s’étaient imprimées sur les parois de notre crâne comme un papier peint à fleurs suranné. Depuis, il a épuré tout le rock qu’il y avait encore dans sa pop. Promenade, son dernier opus, a banni les guitares et couronné pianos, violons et violoncelles. Hannon y avoue sa passion pour la musique baroque, retrouvant Michael Nyman (la musique de Meurtre dans un jardin anglais), qui, lui-même, revisitait Haendel. Il le fait dans le cadre, toujours suspect, du concept-album: chaque chanson se rapporte à un moment particulier d’une journée dans une petite station balnéaire anglaise. Pourtant, pas d’inquiétude, Promenade est de la pure pop. C’est-à-dire une histoire de songwriter.
Ici, pas d’attitudes, ni d’expériences. Juste la chanson vécue comme une quête du Graal. Comment trouver une mélodie qui soit, en chacun de ses points, à la fois parfaitement heureuse et parfaitement nostalgique? En cela, Promenade rejoint cette tradition pop qui est moins celle d’un genre précis que celle d’un état d’esprit: le désir que chaque chose porte en elle son contraire.
La pop, donc, comme un désir d’absolu en miniature qui s’exprimait dans le cadre corseté du couplet-refrain de la musique populaire. Ce que Céline disait de l’amour: “L’infini mis à la portée des caniches.” La pop dont Neil Hannon serait l’un des plus brillants représentants au même titre que les Beatles, les Pet Shop Boys, les premiers Bowie, Scott Walker, Jacques Brel, les Kinks ou les Smiths ou les Pixies (pour ceux qui ont compris que Frank Black était d’abord préoccupé d’alchimie harmonique). Venu à Paris en première partie de Tori Amos, Neil Hannon a révélé un authentique tempérament pop. Donc contradictoire.
La musique de Promenade a été écrite avant Liberation; pourquoi avoir choisi de sortir Liberation en premier?
En fait, j’ai écrit Liberation avant de commencer Promenade. L’histoire est simple: j’était assis chez moi, en Irlande du Nord, à faire les démos pour Liberation. J’attendais la seule personne qui devait produire l’album; pendant huit mois, je n’avais rien de mieux à faire que de composer de la musique… Quant aux paroles, je ne les ai écrites sur une machine à écrire qu’avant d’enregistrer, dans un petit appartement, presque en me forçant.
On pourrait presque d’ailleurs inverser les titres. Liberation est si divers qu’il pourrait s’appeler Promenade, non?
Si ça te fait plaisir (rires). Cet album s’appelle Promenade parce que toutes les chansons respectent une unité de temps - la même journée - et de lieu - le bord de la mer. De plus, avec tous ces arrangements de cordes, ça fait un peu démonstration, su style “Regardez: je peux faire ça et pas vous.”; c’est un peu aussi ce qu’on fait pendant une promenade, on marche et on se montre.
Certains ont dit de Promenade que c’était un concept-album. En est-ce un, au sens d’Arthur ou de Tommy?
Non, ceux-là on une véritable histoire. J’essayais juste de trouver un lien entre toutes les chansons, mais pas le fil conducteur d’une histoire. Un peu comme l’Ulysse de James Joyce qui se déroule pendant la journée, du matin jusqu’au soir. Je ne pense pas que quelqu’un ait jamais fait ça pour un disque.
Comment doit-on comprendre ‘Booklovers’; est-ce une bibliothèque idéale, une énumération ironique ou juste le plaisir de prononcer ces noms d’auteurs?
C’est drôle, je crois que tu as vu juste en parlant du plaisir de prononcer. Ce qui est sûr, c’est que j’aime les noms d’écrivains. J’avais un instrumental si complexe que je ne pouvais songer à lui ajouter une voix par-dessus, ce que ne lui aurait rien apporté. Et comme je ne voulais pas d’instrumental sur l’album, j’ai eu l’idée de parler dessus.
D’où te vient cette culture européenne: musique baroque, littérature, cinéma français? Le rock ne fait-il pas aussi partie de ta culture?
Le rock‘n’roll est mort (rires). Il se pourrait que j’y revienne. Mais c’est un peu démodé. Quand plus personne n’en fera, je m’y remettrai. Le fait est que le rock est là depuis probablement plus longtemps que n’importe quel autre genre musical au XXe siècle. Je ne pense pas qu’il puisse dire grand-chose de plus. La culture européenne? Elle vient de la télévision (rires), du cinéma, des livres. En fait, c’est une certaine conscience: on n’a pas besoin de regarder tout le temps à l’Ouest pour s’inspirer.
Irais-tu jusqu’à dire que ta musique n’a rien à voir de près ou de loin avec la culture américaine?
Il y a évidemment des influences inconscientes. Tu ne peux pas écouter REM pendant cinq ou six ans sans rien en tirer. Je suis sans doute autant influencé par Michael Stipe que Jacques Brel. On ne peut être totalement une chose ou une autre. Nous somme tous un amas de contradictions.
Ce qui a fait la grandeur de Bowie ou de Scott Walker, n’est-ce pas de s’être toujours tenus à la frontière entre rock et musique populaire? N’est-ce pas dangereux de s’en éloigner?
Je ne peux pas trop m’en éloigner parce que j’ai grandi dedans. On se rebelle plus aujourd’hui en sortant ces mélodies qu’en transpirant partout et en ayant les cheveux longs. Le seul danger que je cours est de ne vendre aucun disque! Si personne n’achète mes disques, c’est que je n’ai pas fait mon boulot. Mon job, c’est de donner aux gens non pas ce qu’ils attendent, mais un truc qui les sorte de leur quotidien. Ce qui ne veut pas dire que, sur cet album, il n’y ait rien qui ne soit possible dans la vie de tout les jours: se faire mouiller par la pluie, ou… Enfin, je suppose que s’envoler n’est pas une activité quotidienne. Ça dépend de la drogue que vous prenez…
Tu dis souvent que tu n’as jamais pris de drogues…
Non, jamais. Je ne pense pas que ça améliore ta musique. Le son d’une chanson peut en dépendre mais pas la composition en elle-même. Je ne porte aucun jugement car je serais bien incapable de dire ce que j’en penserai la semaine prochaine. J’aime bien la contradiction, alors…
Certains ont le sentiment que la réalité n’est pas assez bonne pour eux et qu’ils ont besoin de quelque chose de plus étranger. La réalité me convient, elle est assez dure comme ça, je n’ai pas besoin de ma la rendre plus difficile.
Comment réagis-tu quand tu es comparé à certains grands songwriters comme Ray Davis?
Si on me comparait à Led Zeppelin, là je commencerais à m’inquiéter; c’est plus agréable d’être comparé à Ray Davis. C’est un songwriter incroyablement doué. ‘Waterloo Sunset’, c’est une chanson brilliante.
Si tu devais choisir trois albums à emmener sur une île déserte, qu’emporterais-tu?
Sûrement Man Machine de Kraftwerk, le quatuor à corde en La de Ravel et Loveless de My Bloody Valentine.
Après Liberation et Promenade, quel sera le titre de ton prochain album… Symphony?
J’y ai songé! Je sais déjà de quelle couleur il sera. Non, si je t’en parle, ça ne sera pas une surprise. Il sera différent de Promenade, mais on reconnaîtra le style Divine Comedy. J’ai acheté récemment des vieux synthés Korg de la fin des 70’s, mais je ne sais pas encore comment je vais les utiliser car je ne veux pas faire un album Techno. Ça sera une surprise. Tiens, d’ailleurs je pourrais l’appeler Surprise!
Mehdi Boukhelf / Patrick Williams
Best Mai 1994