Retour au bercail pour Neil Hannon: après s’être imposé thérapie de groupe et régime sec, Divine Comedy s’affiche de nouveau en solo et dans la pop orchestrale qui avait fait sa jeune gloire.
Au sein du showbiz, Neil Hannon est une anomalie. Dans un milieu où chacun tente de sauver la face, le frêle Irlandais natif de l’Ulster est son juge le plus sévère. Devançant la critique, il confesse ses erreurs au point d’en trouver même là où il n’y en a pas. En 2004, Hannon en désavouerait presque
Regeneration, album pourtant bien honorable dans sa formule rock éthéré à guitares que les légions de sous-Radiohead qui pullulaient trois ans plus tôt. Divine Comedy, qui avait été pendant dix ans son nom de scène, s’était mué alors en
vrai groupe… jusqu’à ce que Neil vire tout le monde à la fin de la tournée. L’occasion pour lui de déménager à Dublin, de se laisser pousser les cheveux pour une coupe Bonaparte et de faire le point sur sa carrière.
Du Tiersen tout craché
“
Ça a été une des décisions les plus difficiles de ma vie mais elle s’est révélée un immense soulagement. C’était aussi dur qu’en 1992, quand les deux autres membres de Divine Comedy première mouture sont partis et que je me suis demandé si je continuerais la musique. Là, le problème était que lorsque j’ai commencé à être connu, j’ai voulu détourner cette attention dont je m’estimais indigne. Je me suis planqué dans un groupe, m’entourant de six personnes. J’en attendais trop, j’essayais de faire d’eux des amis, pour me sortir de cet isolement, et c’était une erreur.” Du divorce, il conserve le nom (“
Je resterai The Divine Comedy: Neil Hannon n’est pas un bon nom de scène”) et en profite pour soumettre les compos d’
Absent Friends au test de vérité du set solo, en première partie d’une tournée US de Ben Folds. C’est ensuite qu’il manigance ses arrangements avec Joby Talbot, son collaborateur depuis dix ans: “
C’était plus facile de ne plus avoir à se préoccuper de qui jouerait quoi, même si sur la plupart des séances de l’album je fais toujours appel aux ex-membres. Ça me lasse quand je n’entends que de la musique à base de basse et de batterie. Nous trouvions plus stimulant de jouer sur les possibilités, de voir ce que ça donnerait quand les cordes, par exemple, portent la rythmique.” On retrouvera aussi Yann Tiersen (juste retour des choses, vu que Hannon fait des apparitions régulières sur les albums de ce dernier) poser un partie d’accordéon sur un titre: “
Epatant. Il n’a joué que quelques notes, tout en concision, du Tiersen tout craché, et le morceau a aussitôt pris une autre tournure.”
Porridge et sucreries
Absent Friends est donc l’album de retour au son
classique de Divine Comedy pour Neil Hannon, jeune père d’une famille qui vient de quitter Londres (“
Je ne voulais pas que ma fille prononce ses premiers mots avec l’accent anglais”).
Regeneration n’a donc été qu’une parenthèse, sans doute salutaire: “
A l’époque, j’avais lu un papier me traitant de curiosité datée et maniérée, dégoulinant de sucrerie. Même si j’ai trouvé le papier foncièrement injuste, il m’a beaucoup touché. J’ai alors plus ou moins fait un régime à base de porridge - je n’ai rien contre le porridge, cela dit. Je m’était alors imposé un son mode et dépuillé, je mettais en avant le style et non la substance. J’ai du mal à croire que j’ai pu écrire certains de ces textes, aux idées si sombres. Ce n’était pas moi. Mais ensuite, j’ai mieux cerné ce que je voulais vraiement faire avec ma musique. J’ai en fait produit Absent Fiends comme le disque que j’aimerais entendre sur ma propre stéréo.” L’exercice a été profitable, éliminant nombre des anciens gimmicks. Là où Hannon avait longtemps pastiché Scott Walker, il parvient désormais à le saisir de l’intérieur, ce qui est frappant lorsqu’il crée une chanson comme ‘Leaving Today’, où le narrateur explore les états progressifs qui l’animent à son réveil au petit matin et où rêve, faiblesse et reprise de conscience s’entrecroisent. C’est que Neil porte à nouveau son attention sur des scènes ou des portraits proche du quotidien, là où il a toujours excellé dans ses observations. Imagine-t-on quelqu’un d’autre écrire sur un navire mené à la casse ou une ado goth heureuse?”
Le défi qui me stimulait: révéler une positivité là où elle ne s’exprime pas ouvertement. Alors qu’au-delà des préjugés, il y a au fond une recherche de son identité et une affirmation de soi.”
Cette approche sereine constitue sans doute principal acquis d’
Absent Friends. Neil Hannon est enfin à son aise dans son univers musical, se découvrant en phase avec des pairs comme Ben Folds ou Rufus Mainwright (“
même si j’ai du mal dès qu’il y a un solo de guitare”). Sur les chansons de l’album, les amis se révèlent absents, imaginiares, voire traîtres, mais nécessaires: “
Sur ‘Our Mutual Friend’, le récit aurait pu être une anecdote avec une chute désagréable et brutale mais j’ai essayé de voir au-delà. C’est pour ça que je voulais que la chanson se prolonge par deux minutes instrumentales. Ces deux minutes, c’est la chose de ma carrière dont je suis le plus fier.”
François Bacherig
Rock & Folk 04/2004