a short site about The Divine Comedy

Théâtre de chambre

Les rares télégrammes de Neil Hannon, en retraite irlandaise depuis Europop, ne semblaient pas vraiment indiquer qu’il ait retrouvé l’esprit de partage. C’est dans un recueillement des plus solitaires que Neil préparait son premier véritable album, Liberation (sur Setanta) qui, s’il témoigne de son indéniable précocité, fleure bon les pop-stars en chambrette.

Par quel instrument as-tu commencé?
Le piano, à l’âge de six ans. Mais en écoutant la radio, j’ai très vite abandonné pour passer à la guitare. Aujourd’hui, je prends mon temps. Je me dis que créer, façonner un morceau va bien au-delà de l’instrument. Seul le musicien est important.

A quel âge as-tu découvert l’intérêt d’écrire tes propres chansons?
Ma première vraie chanson, je l’ai écrite à l’âge de douze ans mais ce fut horrible: j’en ai fait trois cassettes qui ne sont pas très présentables aujourd’hui. Désormais, je prends davantage mon temps. Et celui-ci influe beaucoup sur la qualité de mes morceaux. J’ai du en écrire cent cinquante mais seuls les derniers ont été élaborés de manière suffisamment réfléchie et professionnelle. Pour créer, je commence avec la guitare puis je reprends ce que j’ai trouvé au piano et je réarrange le tout jusqu’à ce que ce soit correct avec les deux instruments. Puis, il y a le studio et tout ce qui me vient en tête à ce moment là.

As-tu déjà eu des expériences de groupes auparavant?
Oui avec des copains de mon frère mais cela n’avait rien à voir avec la musique pop. A l’époque, je voulais juste ne pas m’ennuyer, faire quelque chose qui m’évade. Mais cette expérience m’a vite gonflée, c’était comme un vieux rêve: être chanteur dans un quatuor rock. Nous n’étions vraiment pas terribles et trop occupés à copier tous les groupes bruyants. Il nous manquait ce côté mélodique cher aux Cowboy Junkies et à Galaxie 500. Ensuite, nous avons sorti deux singles et puis l’expérience a tourné court après le collège. Retrouvés sans fans, nous sommes partis habiter dans cet horrible petit appart dans l’ouest de Londres, sans argent, sans concerts prévus. Mes copains ont fait la chose à faire dans ces cas-là: ils sont partis.

C’était donc une véritable dictature?
Je suis probablement trop égocentrique; cependant, je pense aussi que lorsque tu sais exactement ce que tu veux, le contact avec les autres ne fait que diluer tes propres envies et ceci est très mauvais pour la création. Pourtant, peut-être est-ce un besoin de changement car mon prochain album sera complètement ‘live’: on peut avoir envie d’intérioriser son univers musical mais on a aussi besoin de le partager.

Appréhendes-tu le passage à la scène?
Oui, je suis trop anti-star pour être vraiment à l’aise sur scène… J’en ai très peur. D’ailleurs, je ne ferai que des sets acoustiques en trio car si je voulais jouer live ce qu’il y a dans le disque, il me faudrait au moins dix personnes.

Reconnais-tu des influences telles que F.Scott Fitzgerald?
Lorsque j’ai écrit ‘Bernice bobs her hair’ (Bérénice se fait couper les cheveux), j’étais en train de lire cette nouvelle de Fitzgerald que j’ai beaucoup aimée. Et souvent, lorsque j’écris un morceau, j’ai du mal à associer des mots avec ma musique. Donc ici, j’ai aussitôt décidé d’utiliser ce texte. La chanson ’Europop’ est sur toute cette futilité si présente dans le monde moderne. Actuellement, la musique semble trop faite pour danser. Les gens qui dansent sont alors demi-conscients et ne peuvent réagir face à la musique: plus rien ne se passe dans leur tête.
La phrase du Velvet “And thank your god that I just don’t care” collait parfaitement à cette idée.

Le lieu où tu vis influe-t-il sur ta façon d’écrire?
Ces temps-ci, je voyage entre Londres et L’Irlande du Nord. Plus je viens à Londres, plus j’y reste longtemps… La prochaine fois, je crois que ce sera pour toujours. Il y a beaucoup à faire ici mais le problème est que je n’arrive pas à y écrire de nouveaux morceaux. Je passe trop de temps à rencontrer des business men à demi intéressés. Ma verdure irlandaise, mes arbres et ma nature me manque. Là où je vis, il n’y a personne à moins de cinq kilomètres. Je ne suis pas un vrai citadin.

Tu continues tes études?
J’ai fait des études d’art mais je ne veux plus que faire de la musique. En toute objectivité, je pense qu’il faudra du temps pour qu’une musique comme celle de Divine Comedy s’impose et devienne populaire (même si les français l’apprécient déjà). La musique, je ne suis bon qu’à ça et à vingt-deux ans, je n’ai pas d’autre expérience. Alors, je m’oblige à voir la vie en rose sans me préoccuper trop des problèmes d’argent car mes parents m’en envoient parfois; je reste totalement irresponsable !


Benjamin Boguet
Rock Sound 7, 09/1993